Les marchands de rencontres à la conquête du « marché » des célibataires

Dans la civilisation musulmane, il existe une médiation et une régulation morale de la première rencontre jusqu’au mariage et durant la vie de couple. Cette médiation et régulation est assurée par la famille élargie (parents, grands-parents, oncles, tantes, voisinage, amis…) et par les sages de proximité…

La crise du mariage que nous vivons est une crise de la préparation au mariage : une crise de la valeur du mariage, de sa signification, du sens de l’engagement et du don de soi. C’est aussi une crise de la médiation et de la régulation : la médiation familiale et sociale est remplacée par une médiation commerciale ; la régulation morale et religieuse est remplacée par une régulation thérapeutique et psychologique.

Parce que le mariage est en panne de facilitateurs, les marchands de rencontres et de bonheur ont alors pris le relai.

En effet, pour aider cet individu qui se retrouve seul, un nouvel intermédiaire est né : l’industrie de la rencontre (les boites de nuits, les pubs, les sites de rencontres, les agences matrimoniales, le tourisme pour « amoureux »…) et l’industrie du conseil conjugal (les coaches, thérapeutes et psychologues).

Ce qui était offert de façon largement gratuite – faciliter le mariage – est devenu une prestation payante. La rencontre s’inscrit donc désormais dans un cadre économique capitaliste. Avec Max Weber, on entend par capitalisme la transformation systématique d’un besoin ou désir, individuel ou social, en marchandise ou en service facturé.

Mais le capitalisme n’est pas qu’un cadre économique. C’est aussi un cadre moral qui se traduit par la suppression des médiations sociales et morales et leur remplacement par une médiation commerciale et thérapeutique.

Hanane observe bien cette tendance :

« La santé mentale, le célibat et le mariage, c’est devenu un business ! Quand on n’arrive pas à se marier, on n’est pas bien. Du coup des agences de voyages ou des psy proposent des prestations. Faut avoir les moyens aujourd’hui pour rencontrer quelqu’un ! »

D’ailleurs, recourir aux sites de rencontres est le moyen par défaut et par dépit que l’on utilise dans l’espoir de rencontrer « quelqu’un ».

Mais les sites sont une vraie jungle où se rencontrent des hommes et des femmes de partout, de toutes origines, de toutes sensibilités religieuses, de tous niveaux scolaires et professionnels, animés de volontés contradictoires de se marier mais aussi de « s’épanouir avant de se marier »… 

En proposant des rencontres à l’échelle nationale ou internationale, ils augmentent les échanges et les rencontres en même temps qu’elles réduisent les chances de se marier, faute d’un minimum de confiance et de proximité nécessaires pour s’engager.

En effet, dans la plupart des cas, on perd des années à échanger et à rencontrer des personnes dont on se rend compte qu’elles ne nous correspondent pas ou qu’elles manquent de sérieux. D’ailleurs, aujourd’hui encore, la majorité des mariages ont lieu non pas grâce aux sites de rencontres, mais grâce aux proches, aux événements culturels, etc.

En plus, sur un site de rencontres on a l’impression d’être au supermarché : chacun se « vend », se sent obligé de raconter toujours les mêmes histoires ou blagues pour plaire à l’autre. Sur un site de rencontres et dans les rendez-vous qui s’en suivent, on a l’impression d’être au théâtre, sur une scène où chacun donne à voir une image qui n’est pas sa personne ; le profil et la photo, ce n’est pas la personne ; la belle voix au bout du fil n’est pas la personne ; la légende qu’on raconte à l’autre n’est toujours pas la personne… Et puis, que dire, demain, si on arrive à trouver sa femme ou son mari via un site de rencontres, lorsqu’on nous posera la question : « Comment vous êtes- vous rencontrés ? ».

Et les sites de rencontres musulmans, est-ce que ça marche mieux ?

Les sites de rencontres musulmans, ce sont des sites comme les autres, avec une concentration de maghrébins et plus largement de musulmans. On y retrouve les mêmes problèmes que sur les autres sites, à savoir : un manque de sérieux dont se plaint la majorité des utilisateurs, une source de perte de temps, de déception, de blessure et de dépression à force d’y croire et de revenir à la réalité… Bien entendu, il existe des exceptions mais celles-ci ne font que cacher les effets négatifs massifs, de la même manière qu’en politique, on met en avant « la diversité » pour masquer la réalité de partis politiques qui excluent la diversité ou qui l’intègrent comme un instrument soumis à leur agenda électoral.

En ce sens, dans ce « marché » du célibat, mise à part une minorité de personnes qui réussissent à se marier grâce à ces nouveaux moyens, la plupart échouent. Mais l’échec est plus profond qu’on ne le croit : à force d’essayer, de se tromper, de se blesser, d’être trahi…, on ne croit plus dans l’amour, ni dans le mariage, ni dans les femmes ou les hommes en général, ni en soi-même… Tout se passe comme si « plus de rencontres » produisait de moins en moins de mariages et de désir de se marier.

On se trouve dans une situation historique nouvelle où le célibataire, après avoir goûté à la liberté de ne pas écouter ses parents pour se marier, se trouve prisonnier de sa peur de s’engager et de la difficulté à trouver « sa moitié », malgré la multiplication des rencontres possibles.

Les marchands de rencontres et de bonheur profitent précisément de cette peur et de cette difficulté collective à se marier, pour en faire un business. Et pourtant, les sites de rencontres et le coaching en développement personnel augmentent, et en même temps, le célibat se généralise.

Faciliter le mariage : de la responsabilité collective à la responsabilité individuelle

Dans la civilisation musulmane, un homme ou une femme célibataire n’a pas besoin d’être un « célibataire actif » pour se marier : tout son entourage lui propose des personnes qu’il a la liberté de refuser ou d’accepter. Trouver « quelqu’un » ne repose pas sur sa seule responsabilité : chaque personne, mariée ou célibataire, jeune, adulte ou âgée, riche ou de condition modeste a intégré l’idée qu’elle a pour devoir de se donner pour les autres, de donner du temps et de l’attention pour offrir aux célibataires des occasions de se marier.

De nos jours, le poids de la tradition passée sur le mariage est résiduel : il continue à exister mais il est extrêmement faible comparé au poids de la tradition moderne. La preuve la plus évidente, c’est que contrairement aux traditions passées, dans la tradition moderne, la famille a tendance à donner la priorité à l’indépendance et la réussite sociale (scolaire et professionnelle) sur le mariage ; on se marie de plus en plus tard et de moins en moins.

Même lorsque la famille exerce un poids sur le mariage de l’individu, ce poids se réduit souvent à l’inciter à choisir une épouse ou un époux culturellement proche, sachant que cette préférence ne cesse d’être réduite à mesure que le célibataire avance dans l’âge, par crainte de ne trouver personne.

Aujourd’hui, on confond très souvent arranger les mariages pour les faciliter avec forcer à se marier. Or, on peut très bien faciliter, arranger des rencontres sans contraindre à se marier. Cette confusion est le signe d’une époque qui est allergique à toute médiation sociale et morale.

L’idéal romantique est allergique à la médiation de la rencontre par la famille. Il pousse à rencontrer sa femme ou son mari dans un lieu magique, surprenant, « naturel », non officiel. Il repousse la rencontre cadrée dans l’espace de la famille, des proches, d’une mosquée ou d’une association dédiée au mariage. Animé par l’idéal romantique, on recherche une rencontre « authentique », c’est-à-dire sans intermédiaire, sans organisation, sans cadre. Le « feeling » – qui est une évaluation totalement subjective et émotionnelle –, a remplacé les critères moraux objectifs qui devaient aider une personne à bien apprécier la valeur de l’autre avant de se décider à s’engager.

Et paradoxalement, l’idéal romantique de la rencontre s’accommode très bien de la médiation commerciale par les sites de rencontres notamment, même si « ça ne fait pas très romantique ».

Pour l’instant, l’idéal romantique s’accommode moins bien d’une nouvelle solution qui émerge : la rencontre par la médiation d’une association, d’une mosquée ou d’un imâm…


*Cet article est un extrait du livre Etude sur le célibat musulman, de Mohamed Oudihat.

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vacheron
vacheron
2 années

Salam alikoum oua rahmatoullah oua barakatouh Mohamed. J’espère que tu vas bien.
Entièrement d’accord avec toi.
J’ajouterais un point sur le rôle des imams, l’absence des mosquées dans la présentation en raison du manque de sérieux des gens. Car n’oublions pas les familles et amis ne jouent pas toutes ce rôle de présenter. Donc inévitablement on se retrouve seul, livré à nous même. Et dans une société où les gens sont têtes baissees sur leurs écrans, ils ne communiquent plus,ne prennent pas l’initiative d’aborder, daller vers l’autre.

D’où la création par exemple de mon groupe uniquement base sur une sadaqa fissabillah qui a permis des mariages. Hélas je constate que plus nous sommes nombreux et avons le choix plus les gens perdent leur temps à comparer et ne se marient pas.

Monoparentalite musulmane mariage est avant tout une sadaqa pour ALLAH sobhanata’ala en aidant la umma et le restera.
Celui ci est réservé aux Monoparentaux (les exclus du rêve américain des célibataires…).

Sinon je te rejoins, effectivement de plus en plus de groupes se créent alors qu’un travail collectif et bienveillant serait l’idéal pour mieux cadrer notre communauté en détresse.
Ainsi, ces derniers rivalisent pour piocher dans les membres des uns et des autres et ne produisent rien de productif pour la Umma mais font fructifier un buisness. Cherchez la bienveillance ? La umma se retrouve perdue et ne sait plus où donner de la tête, certains font une overdose des sites.

Ton constat est très bien et je te remercie pour ton article. Je me tiens à ta disposition pour trouver ensemble des solutions.

Vero Safia