Le mariage : Frein n°3

Cet article est un extrait du livre de Mohamed Oudihat, Etude sur le célibat musulman : https://delamour.fr/livres

On a peur de s’engager

La peur de s’engager concerne à la fois les hommes et les femmes. Elle a des causes diverses et prend des formes très différentes. Elle peut se confondre ou se cacher derrière des « bonnes raisons » de se retrouver encore célibataire. 

Par exemple, on entend beaucoup dire : « Je ne suis pas marié parce que je ne rencontre pas beaucoup ». C’est le cas, par exemple, de Rkiya :

« Ce qui m’a le plus manqué pour pouvoir me marier ? Je manque de réseau en fait. Pour le reste, ça va ». 

Or, malgré ce sentiment intime de manquer de réseau, dans les faits, cette femme affirme par ailleurs dans son entretien que grâce à son engagement associatif et grâce aux instituts de formation à l’islam qu’elle fréquente, elle est reliée à tout un réseau de personnes très diverses. 

La peur de s’engager, c’est la peur de donner à sa vie un cap et une « ligne de conduite ». Amal constate que les hommes qu’elle rencontre sont « fuyants » dès qu’elle aborde la question du mariage :

« Tout le monde se plaint, veut se marier, mais dans les actes, ils ne se bougent pas. Surtout les hommes. Ils disent qu’ils cherchent mais sont fuyants ».

Amir raconte la peur de s’engager qu’il observe chez les femmes qu’il rencontre :

« Les filles fuient comme les hommes. Sur ma fiche je mets : ‘’Je n’attendrai pas deux ans pour avoir un enfant. Je veux que ma femme garde les enfants jusqu’à ce qu’ils soient autonomes’’. Et bien ça, ça fait fuir ». 

Amira a 26 ans, moitié française, moitié marocaine. Diplômée d’un Master en école de commerce et d’ingénieur, elle travaille comme consultante en management. Elle confie sa peur de se marier et de prendre des responsabilités : 

« Bah, je ne me sentais pas prête à me marier parce que j’avais des craintes déjà. Des craintes qui étaient propres à moi-même. Je pensais ne pas pouvoir être à la hauteur de me marier etc., de pouvoir m’installer avec quelqu’un, assurer toutes les responsabilités que ça implique, je pensais ne pas pouvoir être à la hauteur ».

Pourquoi cette peur de s’engager ?

  • Le poids des échecs personnels

Les échecs personnels pèsent de tout leur poids pour nous freiner dans notre volonté de nous marier. En ce sens, souvent, après un divorce, on a besoin de temps avant de se relancer. Et on peut traverser une période pendant laquelle on est allergique au mariage, où on a peur de revivre le même échec. C’est le cas de Djamila :

« Suite à mon divorce, j’étais dégoûtée du mariage. J’ai dit à mes frères que je ne me marierai plus. Quelques mois après, une amie me présente son collègue. Je l’ai rencontré sur Paris. Il était très agréable. Mais j’étais encore en colère, renfermée sur moi. Là, c’était ma faute ». 

Baya est une femme de 34 ans, belge d’origine marocaine. Diplômée d’un Master en Management et développement international, elle travaille comme Cadre dans la fonction publique territoriale. Elle évoque la peur de s’engager qu’elle a ressentie depuis son divorce :

« Suite à mon divorce, la première année, j’étais dans la non-acceptation de ce qui m’est arrivé. J’étais à pointer du doigt tous les manquements de mon ex-mari. Je n’étais pas en état de rencontrer. Les années suivantes, j’étais plus dans une introspection personnelle. C’est mon cheminement spirituel qui m’a permis de comprendre que je ne peux pas changer la situation ou les autres mais que je peux me changer moi et attirer la bonne personne. La religion m’a permis de faire ce travail intérieur, en mettant Dieu au centre, en développant la confiance en moi par la confiance en Dieu ».

Le poids des échecs passés affecte non seulement les personnes divorcées, mais aussi toute personne qui a vécu une déception. 

En effet, l’expérience personnelle qu’on a avec les hommes ou les femmes qu’on rencontre n’est pas quelque chose de neutre, sans conséquences sur son cœur, sur sa capacité à aimer, à faire confiance, à se faire confiance, et à se marier. A force de rencontrer, de faire connaissance, de s’attacher et d’être déçu, on peut être affecté au point d’avoir peur du mariage. On devient alors encore plus passif, par usure, par lassitude. Tel est, par exemple, le cas de Safia :

Avec le temps, avec la lassitude, maintenant, je ne rencontre plus. Mais peut-être que c’est mon problème comme je me repose exclusivement sur des intermédiaires et comme les intermédiaires ne jouent plus ce rôle-là, il y a « pénurie » on va dire ☺

  • Le poids des divorces des autres

L’expérience des autres – les divorces, les conflits et les problèmes de couples – n’est pas quelque chose de neutre, sans conséquences sur son cœur, sur sa capacité à aimer, à faire confiance, à se faire confiance, et à se marier. En effet, à force de voir les difficultés voire les échecs des autres, on peut être affecté au point d’avoir peur du mariage. C’est le cas de Naima :

« Ce qui était flippant, ce qui m’a bloqué par rapport au mariage, c’est que les gens autour de moi divorcent ! Chez les parents que je vois à l’école et chez les voisins, je vois des mamans, des pères seuls…, la plupart divorce ! Qu’est-ce qui nous arrive ?! Chez les profs, la plupart des filles sont célibataire ! Qu’est-ce qu’on donne comme exemple à nos enfants ! Ça fait peur ! »

Hakima est une femme de 36 ans. Elle est Professeur des écoles. Elle confie que ce qui la bloque, c’est la peur :

« Manque de confiance, la fuite, j’ai toujours peur. Je ne fais pas confiance, je finis toujours par trouver des excuses. Je suis rongée par la peur. Je suis tellement focalisée sur « Il ne faut pas divorcer » que du coup je ralentis. Parfois, je ralentis, car j’ai un complexe d’infériorité, si je ne suis pas aussi instruite que lui comment tenir une conversation ».

  • L’abondance des choix possibles empêche de se décider

La peur de s’engager se manifeste par la multiplication des personnes qu’on cherche à séduire et l’évitement de l’engagement ferme :

C’est ce que ressent Bilal :

« La maturité, je l’ai. J’ai un appart. J’ai un travail. Ce qui me manque, c’est la capacité à faire un choix. Je devrais peut-être changer d’attitude. Je devrais peut-être plus prendre soin de moi sur le plan physique et spirituel. Je sors beaucoup donc je rencontre quand même. J’essaie de m’élever spirituellement ».

  • La crise de confiance généralisée dans les hommes/femmes

Rencontrer sans pouvoir vérifier via son réseau familial et amical la valeur et la qualité d’une personne, c’est s’exposer à la peur de se tromper, à la crise de confiance généralisée dans les autres. 

Ce sentiment de crise de confiance dans les autres est accentué sur les sites de rencontres et les réseaux sociaux. Par exemple, Amal en témoigne :

« J’ai connu un homme via les réseaux sociaux. Il a 39 ans, divorcé, papa, quelqu’un de très rassurant. Mais j’ai senti un côté un peu manipulateur qui te dit ce que tu veux entendre. On s’est vu. Il était charmant. Il n’avait pas le temps, il était sincère. Il a fini par me dire par texto qu’il avait trois filles et non une seule comme il me l’avait fait croire. Pourtant je lui avais dit au départ qu’on s’engageait à dire les choses en direct et non par texto. Du coup, ça m’a mis le doute. Je lui ai répondu que je voulais du temps pour dépasser ce doute. Le soir-même, il a coupé. 

Mais il peut aussi apparaître, dans une moindre mesure, dans des cadres plus sérieux. Par exemple, Zawajme.com témoigne de la crise de confiance qui règne dans les rencontres que cette association anime :

« Ce qui bloque les femmes, c’est de voir que les hommes trichent sur leur profil. Par exemple, un homme indique : « Je suis infirmier » alors que dans les faits, il est aide-soignant. S’il ment là-dessus, alors il a peut-être menti sur d’autres choses ?
Les frères se plaignent du fait que souvent, les femmes mettent des photos fausses ou partielles. Elles sont spécialistes des photos retouchées. Le fait de se rencontrer, ça règle ces problèmes ». 

Le plus décevant, c’est de tomber sur des personnes qui mentent sur qui elles sont et sur ce qu’elles cherchent (se marier, s’amuser, séduire pour dominer…), au point qu’on perd l’envie de chercher à se marier. Tel est le cas de Djamila :

« Je me suis inscrite sur un site de rencontres contrôlées avec imâm. J’ai fait ça sans conviction. J’ai fait les sababs (les causes, les actions nécessaires). J’ai rencontré deux personnes. L’un m’a semblé bizarre, traumatisé par son expérience. Sur sa fiche, il n’a pas mis qu’il avait une fille. En le rencontrant, je découvre qu’il en a une. L’ambiance n’était pas saine ».

Ces expériences malheureuses accentuent un sentiment de méfiance généralisée vis-à-vis des hommes ou des femmes, ce qui rend la perspective du mariage de moins en moins probable.

  • Les conflits de rôles homme-femme 

Certaines femmes fuient le mariage à cause d’une image de « l’homme maghrébin » qui fait peur : l’image d’un homme-enfant qui attend d’être entouré des soins de sa femme comme il l’a été par sa mère. C’est ce dont témoigne ici Doha :

« Les mamans maghrébines ont surprotégé leurs garçons. Même malades, elles vont se lever pour leurs garçons. Avant, j’en voulais aux hommes comme mes frères, mais après je me suis rendu compte qu’ils ont été victimes de leur éducation. Donc quand ils se marient, pour eux, c’est normal que leur femme patiente, même si eux se mettent en colère. Elle doit s’occuper de son mari comme sa mère qui le faisait malgré sa maladie… J’avais le sentiment de devoir être comme une maman pour mon ex-mari ». 

De leur côté, certains hommes fuient le mariage par répulsion par rapport à une certaine image de « la femme maghrébine ». Par exemple Houcine : en témoigne :

« C’est flippant ! Aujourd’hui, tu peux plus parler avec une fille. Y en a une qui te plaît, tu vas la draguer, elle va te mépriser. Après elles se plaignent que plus aucun homme n’ose les aborder. T’es gentil, elles te calculent même pas ! Elles préfèrent un bad boy qui leur fait la misère. Après elles vont critiquer les macho ! 
Tu veux te poser, tu veux fonder une famille, elle veut porter le caleçon, faire le tour du monde avec ses copines, etc. J’ai l’impression qu’on se cherche sans trouver ». 

Ammar refuse ce modèle de femmes qui ne se donne pas pleinement dans la vie de famille, qui se comporte avec son mari comme un « colocataire » se comporte vis-à-vis de son colocataire, en partageant le minimum, en faisant chacun sa vie, indépendamment de l’autre :

« Je n’ai pas de mal à me décider quand je rencontre une femme. Je décide sur la base de critères objectifs : l’honnêteté, la volonté de construire… 
J’ai rencontré une fille qui cherchait en fait un ‘’colocataire’’. Mais on n’est pas là pour cohabiter mais pour construire quelque chose ensemble. Et je trouve que beaucoup de femmes sont dans la doctrine féministe d’avoir un ‘’colocataire’’, un époux mais elles font leur vie à côté. Or, je n’ai pas cette vision de concurrence entre les époux…
(…) J’ai refusé que ma sœur me présente sa copine. On n’a pas le même délire. Ses copines, j’en veux pas ! Le genre de filles comme mon ex, avec qui je faisais tout à la maison et elle, elle rentrait très tard ».

A la question Est-ce que tu recherches un conjoint qui donne une grande valeur à sa carrière professionnelle ? Pourquoi ? Ammar répond :

« Non, j’ai déjà donné, mon ex-femme était comme cela. Je m’occupais de la maison et elle était dehors. Je ne veux plus de cette configuration ». 

Derrière ces images qui font peur, il y a des divergences de rôles attendus l’un de l’autre, notamment autour des tâches ménagères. C’est ce que vit Rayhana :

« Souvent, ce qui n’allait pas, c’est qu’on n’avait pas d’objectif de vie similaire. Par exemple, avec un homme, on avait des attentes qui ne collaient pas. Il était traditionnel, avait une vision des rôles homme-femme très définie. Par exemple, la cuisine et les tâches ménagères doivent être assurées par la femme. Et ça ne collait pas avec ma vision ».

Mais il existe aussi une tendance inverse : beaucoup d’hommes aujourd’hui exigent de leur femme qu’elle travaille pour partager la charge financière de la famille. C’est ce qu’a constaté Meriem :

« Ça arrange beaucoup de frères que leur femme travaille ! Mon ex-fiancé a exigé de moi que j’aie un CDI pour accepter de m’épouser. Naïve que j’étais, j’ai accepté pour le rassurer. Un frère qui demain va dire : ‘’Je suis un bonhomme. Pas besoin de travailler. Mon argent, c’est ton argent !’’, c’est fini, il n’y en a plus des hommes comme ça ! Les frères aiment que les sœurs travaillent, qu’elles aient leur propre argent pour pas se faire ruiner ☺ ».

Naima aussi en a fait l’expérience, avec des hommes vivant au Maghreb :

« Quand on m’a présenté des gars du bled, j’avais l’impression qu’ils étaient plus modernes que moi ! ☺ Le gars veut rester à la maison et la femme travaille quoi ! »

Bilal par exemple, fait partie de ces hommes qui ne veulent pas d’une femme qui ne travaille pas :

« Il y a des femmes qui te disent : ‘’Ah nan, moi, je ne veux pas travailler !’’. Si elle ne veut pas travailler, ok. Mais qu’est-ce qu’elle fera de son temps libre ? Je ne veux pas d’une personne qui ne fait que s’occuper de son foyer. Je veux qu’elle s’instruise au moins ».  

De son côté, Zawajme.com observe que la plupart des femmes cherchant à se marier ne veulent pas d’une répartition égalitaire des dépenses mais attendent de l’homme qu’il assure pleinement la responsabilité financière de la famille. Mais beaucoup d’hommes, s’ils épousent une femme qui travaille, veulent appliquer le principe d’égalité dans la participation aux charges et à la responsabilité financière. Cette divergence représente un blocage fréquent :

« Ce qui bloque souvent, c’est la question du partage des salaires et des dépenses domestiques. Les femmes veulent que l’homme assume l’essentiel, et elles, elles veulent bien participer financièrement, mais pas à moitié. Elles trouvent bizarre que des hommes veuillent faire moitié moitié dans les dépenses de la maison ».

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