Le mariage : Frein n°1

Cet article est un extrait du livre de Mohamed Oudihat, Etude sur le célibat musulman : https://delamour.fr/livres

Introduction

A partir des interviews réalisés dans notre étude, on peut observer que pour beaucoup, les freins sont trop nombreux pour pouvoir s’engager dans le mariage. Car on veut se marier mais on manque de maturité, de moyens financiers ou d’occasions de rencontrer. Car on veut se marier mais on ne veut pas être frustré en se mariant. Car on échange et on rencontre tellement qu’on devient de plus en plus exigeant, qu’on est désespéré de ne pouvoir trouver « la bonne personne » et qu’on a peur de s’engager.

On veut aimer quelqu’un mais on doit d’abord s’aimer soi-même. On veut s’épanouir par le mariage mais on n’a pas le temps de se marier car on a d’autres sources d’épanouissement à travers le travail, les amis, les loisirs, les voyages et la « spiritualité »… On veut mais on n’est pas prêt. On cherche mais sans trop chercher.

Approfondissons la compréhension des freins au mariage des célibataires musulmans.

Frein n°1 : On est animé de volontés contradictoires

On peut être animé de volontés et d’idées contradictoires qui rendent difficiles la bonne conduite de sa vie et le choix d’une femme ou d’un homme. Par exemple, on peut vouloir une femme « pratiquante » et être gêné de la voir porter le voile, soit à cause du regard social négatif, soit parce qu’on ne veut pas être privé de l’occasion d’aller à la plage avec elle…

Ou encore, on peut vouloir un homme qui n’est pas macho, qui est doux et romantique avec sa femme mais en même temps, dans les faits, on fuit ce type d’hommes et on se jette dans les bras d’hommes qui sont exactement à l’opposé : les « bad boys ». 

Ces volontés contradictoires alimentent une grande confusion dans sa prise de décision.

Hassina est très consciente que des volontés contraires l’animent et la poussent vers la mauvaise rencontre :

« Les premières oppositions que je rencontre, c’est en moi-même. Parce que je suis imprégnée à la fois des codes occidentaux modernes, des codes traditionnels et des codes islamiques. Si j’ai en face de moi quelqu’un qui est dans la modernité et qui rejette la tradition et la religion, c’est moi que je remets en cause. Car j’ai accepté de rencontrer quelqu’un qui est totalement décalé par rapport à moi ».

Anis est très conscient du conflit intérieur entre ce qui l’attire et le repousse :

« Par exemple, d’un côté, j’ai envie de rencontrer ma future femme dans un cadre sain, d’aller la rencontrer au sein de sa famille. De l’autre côté, j’ai conscience que certaines femmes peuvent apparaître sous un autre jour quand elles ne sont pas dans ce cadre. D’un côté, je veux un mariage stable, de l’autre, je veux une femme qui m’aime moi de façon exclusive mais qui n’est pas forcément stable ».

Rizlaine a 36 ans. Anciennement mariée, elle a divorcé. Elle est mère de deux enfants. Diplômée d’un Master en Ressources Humaines, elle travaille comme Directrice des Ressources Humaines. Elle voyage beaucoup dans le cadre de son travail. Elle veut se marier. Mais elle dégage l’image d’une femme « indépendante », qui n’a pas besoin d’un homme, qui vit comme si elle ne voulait pas « se poser » :

« Ce qui bloque le plus, c’est mon indépendance, une indépendance qui m’est chère. Il y a beaucoup d’hommes qui me disent il va falloir que tu montres que t’as besoin d’un homme si tu veux te marier, alors que j’ai vraiment pas besoin. Pourquoi faire semblant ? Et je ne sais pas faire semblant. Mon problème, c’est que je parais autoritaire. C’est vrai mais ce n’est qu’une coquille ».

Rkiya a 38 ans, française d’origine algérienne. Diplômée d’un Master en Langue arabe, elle est professeur. 

C’est une femme qui très jeune, a rejeté l’idée de se marier, malgré les nombreuses opportunités qu’elle avait. Aujourd’hui encore, elle a un rapport très ambivalent (1) au mariage, elle veut mais ne veut pas ; elle cherche mais ne cherche pas… :

« Moi je pense que ce qui m’a le plus manqué, c’est d’être rassurée. Car j’ai eu plein de propositions. Mais j’avais peur de m’engager. Je me braquais. J’étais radicale. C’était un non définitif à tout mariage, peu importe qui pouvait se présenter. Je me suis noyée dans mes études puis le travail et l’engagement associatif. Maintenant, je me rends compte de mon erreur… 
Depuis 3 ans, je ne cherche plus à rencontrer. J’ai toujours voulu me marier. J’étais très investie entre 25 ans à 33 ans où je cherchais. J’ai laissé tomber vers 33 ans car ça m’a démotivée. Depuis je me suis investie dans mes projets. En vrai, j’étais toujours investie dans mes projets. Je voulais me marier mais en vérité j’étais attachée à mes projets personnels plus qu’au projet de me marier ».

Elle se rend compte qu’elle était dans le rejet du mariage, dans l’oubli d’une vérité universelle, à savoir que l’homme et la femme sont faits pour vivre en couple. Ce n’est pas parce qu’elle ne trouvait pas de mari qu’en attendant, elle s’investissait dans ses projets personnels. C’est bien plutôt l’inverse : parce qu’elle était totalement investie dans ses projets personnels qu’elle n’était pas disposée à rechercher, à rencontrer, à échanger et à se projeter dans le mariage. 

Ces différents témoignages montrent les paradoxes, les nœuds et les blocages personnels qui empêchent de « trouver la bonne personne » parce qu’on a soi-même des volontés contradictoires… 

Le rôle même de la culture, de la religion et de la morale, c’est d’aider une personne à faire « le tri sélectif » dans tous les désirs et les volontés contraires qui l’animent ; de l’aider à hiérarchiser ce qui a de la valeur en fonction du plus important au moins important, pour faciliter la conduite de sa vie. 

Or, on baigne dans une culture moderne qui fait croire que l’on peut « tout réconcilier », une chose et son contraire, et qui alimente des conflits de valeurs dans l’esprit et dans le cœur de chacun d’entre nous. On baigne dans une culture de « l’épanouissement personnel » qui empêche de faire « le tri sélectif » et de hiérarchiser les désirs et les volontés contraires qui animent l’individu.

Note :

(1) Pour aller plus loin dans l’analyse de l’ambivalence de la femme qui désire à la fois se mettre en couple tout en s’affranchissant de l’idéal du couple pour assurer son indépendance ainsi que son épanouissement individuel, Cf. Kaufmann, Jean-Claude (1999), La femme seule et le prince charmant, Editions Nathan, p168.

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