Le mariage : Frein n°4

Cet article est un extrait du livre de Mohamed Oudihat, Etude sur le célibat musulman : https://delamour.fr/livres

On multiplie les tentatives pour se rencontrer, se connaître, s’aimer, et ça use

Pour beaucoup de célibataires, la difficulté n’est pas de rencontrer, car ils rencontrent déjà beaucoup. C’est le cas par exemple d’Inès qui témoigne ainsi :

« Moi, j’ai pas un problème de rencontres ! Même si j’étais dans une fac de droit avec que des non-musulmans fachos, etc. On n’a pas un problème de rencontres mais de mariage ! Il y a tellement d’échanges virtuels, il y a tellement de rencontres qui n’aboutissent à rien ! La plupart des mariages qui se sont faits, ils se sont faits par une connaissance commune. Quand on se rencontre via une connaissance commune, le comportement de chacun est régulé et on se respecte. Ils ne vont pas commencer à faire n’importe quoi. Il y a quelque chose en commun, peut-être des valeurs communes. 
Mais quand on a l’embarras du choix sur un site de rencontres, on rencontre quelqu’un aujourd’hui, demain un autre. Et on n’a personne qui connaît l’autre personne pour nous dire si elle est bien. On va se planter, faire n’importe quoi mais tant qu’il n’y a pas de témoin, c’est pas grave. Bizarrement, plus l’être humain est libre, plus ça n’aboutit à rien ! Aujourd’hui, on est libre de tout mais on ne se marie pas ! Le fait que la personne que je rencontre connaisse mon père, ça m’encourage à ne pas faire d’histoire à cause d’un détail. Mais comme on a aucun lien commun, alors on se permet tout et on s’abîme ».

On vit une époque où tout le monde formule le même conseil : « Prends ton temps pour connaître l’autre avant de te marier avec ». Ce conseil se généralise à une époque où on se marie moins, où l’âge du mariage est largement retardé, où la plupart prend son temps avant de s’engager, où la plupart a peur de s’engager. 

Dans ce contexte, « connaître l’autre » n’est plus un simple moyen ou une simple étape avant de se marier : aujourd’hui, on passe son temps à faire connaissance sans se marier. 

On cherche à tout connaître de l’autre : son histoire, ses « relations », ses traumatismes psychologiques, son profil psychologique, et pourtant, on a toujours le sentiment de ne pas le connaître suffisamment et d’avoir besoin de prolonger le temps de le connaître, « pour être sûr ».

L’amour est une chose précieuse mais fragile. On peut tomber dans l’usure et une « loverdose » après une ou plusieurs rencontres que l’on fait sincèrement dans le but de se connaître et d’envisager le mariage. 

Car paradoxalement, comme le constate Rayhana :

« Ce n’est pas parce qu’on fréquente une personne longtemps qu’on la connaît. C’est pas vrai ça ! »

Soulayman confie qu’il s’est beaucoup investi pour échanger et rencontrer en vue de se marier. S’il n’est pas encore marié, c’est, dit-il, parce qu’après chaque échec, il passe par une phase de démotivation qui est pénible et qui fait perdre du temps :

« Je pense que c’est peut-être parce que j’ai mis trop d’énergie dedans tu vois ? Tu t’investis et euh d’un coup ça s’arrête et après voilà quand ça s’arrête ça te stoppe. T’as une grosse baisse d’énergie qui fait que ça te fait perdre du temps, puis tu reprends. C’est comme une batterie en fait, la recherche, faire connaissance, c’était fastidieux et à chaque fois, il me fallait reprendre de l’énergie pour continuer. Ça m’a fait perdre beaucoup de temps. J’aurai peut-être du moins m’impliquer à chaque fois en fait ».  

Safia raconte comment elle a été traumatisée par un homme avec qui elle projetait sérieusement de se marier :

« Je vais parler d’une situation qui m’a particulièrement marquée. J’ai fait la connaissance d’un homme bien. Franchement bien ! C’était quelqu’un qui me paraissait pieux. Après avoir parlé avec lui pendant 4 mois, il avait rencontré mon père, etc. On avait essayé au maximum de faire les choses dans les règles. 
Mais il ne voulait pas que je rencontre sa mère. C’était seulement des rencontres pour se poser des questions mais jamais de décision. Et pour mon père, cette situation était intenable et irrespectueuse. Pour lui, c’était hors de question qu’un gars profite pour parler à sa fille et qu’il ne prenne pas de décision derrière. Donc il m’a posé un ultimatum : ‘’Soit tu lui mets la pression à ce gars, soit il ne veut pas et vous arrêtez tout, car pour moi ce n’est pas possible, Safia, si ce gars ne se décide pas plus que ça, c’est peut-être parce qu’il ne te considère pas plus que ça et ne t’envisage pas comme épouse et du coup, tu perds ton temps. Moi je vois que tu commences à t’attacher. Je ne veux pas que tu sois traitée comme ça en fait’’. 
Donc du coup, j’ai suivi le conseil de mon père. Je lui ai dit et il a fini par m’avouer que depuis le début il savait que ça ne le ferait pas, il n’avait aucun feeling pour moi ni rien. 
Alors pour moi, cela a été très douloureux, car je me suis projetée et j’étais prête à dire oui. Je n’avais pas compris pourquoi il avait mis autant de temps. Donc depuis cela m’a appris à ne pas trop m’attacher, à ne pas me projeter trop loin tant que je ne vois pas de signe d’engagement devant moi pour ne pas être blessée à la fin. 
La confiance c’est très précieux : on ne doit pas la donner trop facilement. Ça m’a appris à protéger mon cœur. Ma sœur qui est mariée m’a dit : ‘’Tu sais, le vrai amour ne naît que lorsque tu vis avec la personne. Avant, c’est surtout de l’attachement. Ne donne pas ton cœur à n’importe qui, car ce que tu donnes est précieux. Protège ton cœur au maximum’’. Donc ça m’a appris à être plus prudente quand je rencontre les personnes et à être moins naïve ». 

Rencontrer, échanger voire « être en relation » ou se marier puis se séparer : chaque expérience d’amour et de séparation est souvent vécue comme une blessure qui nécessite un temps variable – quelques semaines ou des années –, d’une personne à l’autre. 
Il suffit d’une ou de quelques déceptions et expériences malheureuses, pour que l’envie de se marier se pervertisse en rejet du mariage. En effet, les échecs amoureux ont tendance à affecter l’envie de s’engager, de même que les divorces ont tendance à réduire l’envie de se remarier. 

Une seule expérience malheureuse a affecté Safia au point qu’elle eu a du mal à se projeter de nouveau avec un homme. A la question Sur les 3 dernières années, combien de personnes tu as rencontré en vue de te marier ? elle répond :

 « Je dirais que j’ai rencontré 20 hommes en vue de me marier. Ça m’a fatigué. Là, limite, on me présente quelqu’un, je dis : ‘’Non ! Je suis en vacances !’’. J’ai mal à la tête, au cœur… Je suis en congés du cœur ! ☺ ».

Amal ne veut plus entendre parler de rencontres :

« Je suis quelqu’un de méfiant. J’ai rencontré pas mal d’hommes. J’ai arrêté tout récemment car j’ai le sentiment que c’est bon, c’est fini. Le fait d’avoir cumulé des échecs ne me donne pas une bonne image des hommes. Je suis quelqu’un d’entier. J’apprends à connaître un homme. Je m’attache vite. On se rencontre sur internet, on se sépare brusquement sans explication. T’en prends un coup. Je me dis : ‘’Tu ne mérites pas ça !’’. Il y a une semaine encore ça m’est arrivé. J’ai besoin de temps pour digérer et pour refaire une rencontre ».

La multiplication des rencontres, des efforts pour rencontrer et pour faire connaissance qui n’aboutissent pas au mariage, aboutissent à l’usure, à la perte de l’envie de se marier, à la perte de confiance en soi ou en l’autre. 

L’usure et « loverdose » s’accentuent d’autant que l’on va plus loin, lorsque l’amour va jusqu’aux relations sexuelles. Il suffit d’une ou de quelques expériences malheureuses pour perdre l’envie de trouver quelqu’un et de se mettre en couple : 

« Globalement les unions deviennent plus fragiles, et les ruptures sont moins suivies de la formation d’un nouveau couple(1) ».(2)

Cette tendance est vraie dans l’ensemble de la société, y compris les musulmans.

En effet, on est distrait par des relations passagères qui, à force d’être cumulées et comparées, finissent par réduire la capacité de se satisfaire d’une personne avec qui on se marie. C’est l’expérience que nous racontent la plupart des personnes interviewées qui ont vécu une overdose de déceptions amoureuses et d’aventures sexuelles. 

Bilal nous confie :

« J’ai eu des phases où je cherchais et d’autres où je laissais tomber. Je cherche depuis deux ans. J’ai eu des périodes de découragement. Avant 35 ans, je suis sorti avec beaucoup de filles, pas dans l’optique de me marier ».

Le « manque de sérieux » est d’ailleurs ce dont se plaignent le plus les femmes face au comportement d’hommes qui veulent prendre du plaisir sans s’attacher, sans s’engager davantage, sans être solidaire de la suite. 

Hannah a remarqué que souvent, quand elle veut donner une tournure sérieuse aux échanges qu’elle a avec un homme, ça le fait fuir :

« Soit les hommes que je rencontre ont un problème de maturité, soit quand je dis qu’on doit passer aux choses sérieuses, impliquer les familles, ils veulent profiter de la compagnie d’une fille sans que ça se sache ».

Se voir et se revoir pour faire connaissance, c’est un chemin qui comporte le risque de s’attacher, de cultiver des relations sexuelles hors mariage, de perdre du temps et de la confiance dans l’autre. C’est ce qu’a vécu Léa :

« Les hommes que je rencontre veulent absolument une relation intime avant le mariage. Donc si je mets une limite, ils se sauvent et si je fais une entorse à cette limite, je peux au moins le connaître mieux pour savoir si c’est la bonne personne. Shaytân nous pousse à supprimer cette limite et on se dit que d’autres réussissent à se marier parce qu’ils n’ont pas cette limite. Mais une fois, j’ai testé. Je n’ai pas respecté cette limite. Au final, l’homme a fini par partir. Ça n’a abouti à rien. Donc maintenant, je préfère respecter la volonté de Dieu ».

Malgré cette série de témoignages, on ne doit pas croire que les hommes ont le monopole de cette tendance à « s’amuser ». En effet, par exemple, à la question D’après toi, pourquoi tu n’es pas encore mariée ? Julie répond : « Parce que j’ai pas envie ».

Nous lui demandons alors : « Pas envie… mais tu es dans une démarche de rencontre non ? A quoi elle répond :

« Euh oui parce que rationnellement j’me dis que j’vais pas rester seule toute ma vie. Et puis plus le temps passe, plus tu apprécies le fait d’être seule. Déjà là, je me dis que ce serait bien de vivre chacun chez soi. C’est rare que je rencontre de mauvaises personnes, globalement les personnes sont stables, elles sont gentilles. Mais y’a toujours quelque chose qui manque pour faire ce sacrifice. Je passe pas le cap. En fait, j’ai l’impression de pas être sérieuse, que même si je rencontre la personne qu’il me faut, j’crois que je veux juste passer le temps ».

Distrait par ses études ou son travail, par ses voyages ou ses activités associatives, par ses sorties ou ses retraites spirituelles, par ses lectures ou ses séries télévisées, par ses « relations » ou ses « aventures » : bref, on prend l’habitude de vivre célibataire, de ne dépendre de personne, de n’avoir à rendre de compte à personne. A partir de là, ce n’est plus le célibat qui est une situation étrange mais le mariage : comment peut-on se marier ? Comment peut-on vivre à deux ? Comment peut-on vivre autrement que célibataire ?
Lorsqu’on se pose ces questions, c’est que l’habitude est devenue notre seconde nature, et qu’on a du mal désormais à se projeter dans la vie de couple, comme en témoigne Amel :

« Qu’est-ce qui m’a manqué pour pouvoir me marier ? Je dirais de vivre avec les autres car cela fait 6 ans que je vis seule. Donc je ne suis pas confrontée aux autres ni aux conflits. Si demain je vis avec une personne j’aurai besoin d’un temps d’adaptation. Même si parfois je reviens chez mes parents, ce n’est pas pareil. L’habitude de vivre seul rend plus difficile la vie en couple… »

Notes :

(1) Toulemon L. (1996), « La cohabitation hors mariage s’installe dans la durée », Population, n°3.

(2) Kaufmann, Jean-Claude (1999), La femme seule et le prince charmant, Editions Nathan, p173.

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