Adam & Eve : Faut-il croquer dans la Pomme de l’Amour ?

A peine croque-t-on la pomme de l’amour que les « pépins » commencent. Il paraît que c’est à cause d’Eve tout ça… Mais que signifie le symbole de la pomme ?

Dans la tradition chrétienne de la création, on apprend que Dieu va créer l’homme et la femme. A partir de la côte du premier il va tirer la seconde.[1] Adam et Eve sont au Paradis. Dieu leur interdit de toucher au fruit d’un arbre bien précis mais Ève va tenter Adam et lui faire commettre l’interdit. Dieu constate leur péché et décide de les expulser de l’Éden et de les mettre sur terre. Leur péché s’hérite de génération en génération. L’homme devra attendre la venue de Jésus pour racheter les péchés de l’humanité. Dieu a tellement aimé les hommes qu’il s’est fait homme lui-même et qu’il s’est sacrifié pour racheter leurs péchés.

La pomme est devenue le symbole du péché originel. D’où vient cette idée de pomme alors que la Genèse n’évoque que « le fruit de l’arbre défendu » ?

Cette erreur et ce glissement de sens a sans doute plusieurs origines : l’influence de la mythologie grecque ainsi que les traductions de la Bible vers le grec et le latin. Par exemple, dans la traduction latine, le terme « arbre » (malus en latin) désigne aussi bien un arbre « mauvais », c’est-à-dire interdit, qu’un simple pommier. Les mots « pomme » (« malum ») et « mal » (« malus ») sont presque identiques.

Toute une série de glissements et d’idées vont se diffuser :

  • Le fruit défendu, c’est la pomme.
  • La pomme symbolise : la connaissance, le plaisir ou l’acte sexuel, et l’amour. « Croquer la pomme », donc commettre le péché, c’est tout à la fois chercher à connaître le monde, à prendre du plaisir sexuel et à cultiver l’amour dans son couple. Connaître est un péché car cela constitue une concurrence et une révolte contre Dieu qui doit être le seul à connaître. Aimer sa femme, prendre du plaisir avec elle est un péché : le mariage est un moindre mal, du coup on se marie mais sans s’aimer et sans chercher à prendre du plaisir.
  • Eve – la femme – est La Tentatrice par excellence, car c’est elle qui a fait tomber Adam dans le mal.
  • Toucher à cette pomme est le péché originel d’Eve et d’Adam qui s’hérite de génération en génération.

A la Renaissance, des peintres vont peindre la fameuse scène du péché originel. Influencés par la mythologie grecque et par les erreurs de traduction qui ont popularisé une certaine image de la scène du péché, ils vont donner au fruit sans nom du Paradis une forme et un nom : la pomme.

C’est ainsi qu’au fil des siècles, dans la civilisation occidentale, la pomme est devenu un symbole de la connaissance, de l’immortalité, de la tentation, de l’acte sexuel, de l’amour, de la tentation de la femme, de la chute de l’homme et du péché.

La légende populaire raconte que le larynx dans la gorge de l’être humain, c’est « pomme d’Adam », c’est la trace du fruit défendu dans la gorge de chacun d’entre nous.

Dans la culture occidentale moderne, à chaque fois que l’on fait une découverte ou une invention, on l’associe à la pomme. Comme si découvrir, inventer, connaître sont des actes de transgression.

Ainsi, par exemple, lorsque les tomates sont introduites en Europe, on les appelle des « pommes d’amour ».

En science, on raconte qu’Isaac Newton découvre la loi de la gravité après avoir reçu une pomme sur la tête pendant sa sieste au pied d’un pommier.

En informatique, Apple est le nom donné aux premiers ordinateurs fabriqués par l’entreprise du même nom.

De nos jours encore, les publicitaires jouent sur le symbole de la pomme et de l’interdit pour vendre un produit. Avec la mondialisation, le symbole de la pomme se diffuse dans toutes les sociétés.

De façon plus générale, transgresser l’interdit est une bonne chose et le diable est associé au génie, au courage de connaître, d’inventer, d’aimer et de prendre du plaisir.

Prenons l’exemple du film Star Wars. C’est une belle illustration de la façon dont le diable agit pour pousser l’être humain à commettre le mal. Anakin est un Jedi qui œuvre pour le Bien, du côté de « la Force ». Une histoire d’amour le lie à Padmé. Ils attendent un enfant. Anakin fait un rêve : il voit sa femme mourir au moment où elle enfante. L’empereur Dark Sidious a très bien saisi la peur d’Anakin. C’est sur cette peur qu’il va agir pour le faire basculer du côté obscur de la Force, du côté du Mal. Il lui fait croire qu’il pourra acquérir le pouvoir de sauver Padmé de la mort à la seule condition de rejoindre le côté obscur de la Force. Dark Sidious pousse à commettre l’interdit à Anakin et lui promet la vie éternelle pour sa femme, de la même façon que le diable pousse Adam et Eve à goûter le fruit de l’arbre défendu en leur promettant la vie éternelle. Mais Star Wars est un film où se joue la version moderne du péché originel : rejoindre le côté obscur de la Force – le mal – a plus d’attrait et de valeur que de continuer d’être au service de la Force. Sur le plan commercial, on a vendu surtout des masques noirs représentant Anakin lorsqu’il a rejoint le côté obscur de la Force. Le personnage d’Anakin ou de maître Yoda, comme défenseur de la Force – du bien – ne s’est pas beaucoup vendu commercialement. Ce film transmet bien l’idéal moderne : transgresser, faire le mal, ça rend plus fort que de faire le bien.

Dans le couple, le plaisir sexuel est associé au plaisir que fournit l’acte interdit. Le cinéma offre des films « adultes », pour les grands. Quand on a moins de 18 ans, on est « petit », on n’a pas le droit de regarder ces films. Le cinéma joue sur le désir de transgression et montre comment devenir « adulte ». Dans l’industrie de l’imaginaire érotique, cultiver les interdits sexuels faire le mal, ça fait du bien. Autrement dit, on prend plus de plaisir en croquant la pomme des interdits sexuels qu’en cultivant une sexualité respectant quelques interdits…

Dans le couple toujours, l’amour, le plaisir sexuel et le mariage doivent être distingués : on aime une amante, on prend du plaisir avec une prostituée et on se marie avec une femme pour enfanter et préserver son honneur. Telle est la conception qui domine pendant des siècles dans l’occident chrétien[2]

L’amour et le plaisir sexuel y sont ressentis comme une transgression contre la religion.

C’est pourquoi, par exemple, même lorsqu’on se marie, on voit beaucoup de couple pratiquer « l’enterrement de vie jeune garçon/fille ». A l’origine, c’est une pratique propre au courant des libertins du 18e siècle, en occident. Juste avant de s’engager dans le “mariage-prison”, on commet une dernière folie, une dernière transgression : on goûte au plaisir interdit. Car une fois « la corde au cou », le plaisir sexuel ne sera plus possible.

De même, en ce sens, par exemple, Denis de Rougemont, dans on essai historique sur L’amour et l’occident[3], définit le mariage comme un pur acte d’engagement sans amour. L’amour n’est pas compatible avec le mariage que la religion encourage. L’amour et le plaisir sexuel sont, en quelque sorte, un péché. Le mariage est un moindre mal. Il accuse les cathares musulmans d’avoir influencé la culture chrétienne en introduisant l’amour courtois qui va s’opposer au mariage chrétien qui se vivait comme un engagement sans amour, destiné simplement à faire des enfants.

D’ailleurs, pendant des siècles, le monde musulman est perçu par l’occident comme étant animé d’une religion beaucoup plus libérale voire « libertine » qui valorise l’amour et le plaisir sexuel dans le couple.

En conclusion, le récit de la création, d’Adam, Eve et la pomme, loin d’être une simple histoire, façonne notre façon de voir, de ressentir et de vivre : la quête de connaissance, la créativité, le mariage, l’amour et le plaisir sexuel…

L’occident chrétien a longtemps cherché à dissuader de transgresser en « croquant la pomme ». L’occident moderne va valoriser la transgression de l’interdit. « Croquer la pomme », c’est désormais une belle chose : c’est même la condition pour connaître, pour inventer, pour aimer, prendre du plaisir.

Quelle vision l’islam offre-t-il du récit de la création, de ce que symbolise « le fruit défendu », de l’interdit, de la connaissance, de la responsabilité de l’homme et de la femme dans le mal, de l’amour, du mariage et du plaisir sexuel ? C’est ce que nous verrons lors d’un prochain article…

 

Notes :

[1] Genèse 2 : 23.

[2] Cf. Laurence Caron-Verschave et Yves Ferroul (2015), Le Mariage d’amour n’a que 100 ans, Odile Jacob. Cf. Ferroul, Yves (23/05/2005), Le mariage d’amour n’a que 100 ans : dans l’Antiquité, on distinguait sexe et sentiments. Article publié dans le http://leplus.nouvelobs.com  http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1370085-le-mariage-d-amour-n-a-que-100-ans-dans-l-antiquite-on-distinguait-sexe-et-sentiments.html

[3] Sur Denis De Rougemont, Cf. Petite histoire de l’amour à travers les âges, Weinberg Achille (26/07/2006), Article publié dans la Revue Sciences Humaines, Qu’est-ce que l’amour ? https://www.scienceshumaines.com/petite-histoire-de-l-amour-a-travers-les-ages_fr_14435.html

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Milena Sardella
Milena Sardella
6 années

Madame, j’ai lu votre article avec intérêt mais je ne suis pas d’accord avec tout ce que vous écrivez.
Par exemple, qui a dit que ‘dans la culture occidentale moderne, à chaque fois que l’on fait une découverte ou une invention, on l’associe à la pomme. Comme si découvrir, inventer, connaître sont des actes de transgression’? Il est possible que QUELQU’UN, PARFOIS ait fait cette association erronée mais ce n’est pas une règle générale.
Il est vrai qu’on nous on raconte qu’Isaac Newton découvre la loi de la gravité après avoir reçu une pomme sur la tête, mais je ne vois pas le lien entre le symbole de la pomme comme fruit du péché et un événement réel. Qu’est-ce que ça aurait changé si le fruit tombée sur la tête de Newton avait était une poire, ou une orange? Rien. Sa découverte serait autant vraie et importante.
Et le nom de la compagnie d’ordinateurs… il semblerait que Steve Jobs l’ait choisi pendant qu’il suivait un régime fait uniquement de fruits, et que ce nom simple lui paressait “fun, spirited, and not intimidating“ (amusant, courageux et pas intimidant).
‘De nos jours encore, les publicitaires jouent sur le symbole de la pomme et de l’interdit pour vendre un produit’: pourriez-vous faire des exemples?
‘Avec la mondialisation, le symbole de la pomme se diffuse dans toutes les sociétés’. Il me semble que (plus simplement) la pomme est un fruit qu’on peut cultiver partout dans le monde, avec des climats très différents. Je ne suis pas sure que les cultures non-européennes l’associent au péché.
‘De façon plus générale, le diable est associé au génie, au courage de connaître, d’inventer, d’aimer et de prendre du plaisir’. Je ne suis pas d’accord du tout, et je me demande sur quels documents vous vous basez pour affirmer ça. En plus vous mélangez des choses qui n’ont rien á voire l’une avec l’autre, comme inventer et prendre du plaisir (sexuel, j’imagine).

En conclusion, je vous admire pour votre recherche d’approfondissement mais je crois que vous avez parfois généralisé et vous n’avez pas été suffisamment rigoureuse, en donnant une fausse image de la société non-musulmane.
Ce qui est sur et certain est que LA SOCIÉTÉ CHRÉTIENNE ET MODERNE NE PEUVENT PAS ÊTRE CONFONDUES, car dans le monde occidental il y a davantage de non-chrétiens (et de non croyants) que de chrétiens. Même si évidemment les chrétiens sont modernes aussi…

Merci de votre ‘écoute’
Milena

Delamour.fr
6 années

Bonjour,

Chère Milena, merci pour les réflexions que vous partagez !
1. L’association entre invention et transgression est largement utilisée, notamment par la pub.
2. Vous avez raison, que ce soit une pomme ou une poire, cela a peu d’importance. On a retenu la pomme et c’est à travers ce fruit qu’on exprime désormais le symbole de l’interdit.
3. Les cultures non-européennes n’associent pas la pomme au péché. En revanche, en se mondialisant, la culture occidentale moderne transmet cette association d’images.
4. Dans la culture occidentale chrétienne puis moderne, la pomme symbolise l’amour, le plaisir sexuel, et la connaissance. Je vous invite à considérer, par exemple, cette pub pour le parfum Nina de Nina Ricci :
http://commentairesimages.free.fr/index.php?p=pub_nina_ricci
Ou encore voyez les utilisations du récit de la création dans la pub :
http://www.advertisingtimes.fr/2012/05/adam-et-eve-entre-tentation-et.html

http://www.graphiste-webdesigner-montpellier.com/mythes-et-legendes-dans-la-publicite/

5. Je distingue l’occident chrétien de l’occident moderne. Ce sont deux cultures très différentes. J’ai essayé de montrer la continuité et les ruptures dans la signification du symbole de la pomme dans ces deux moments de la civilisation occidentale.

Merci encore pour votre message qui, avec ces quelques réponses, permettront, j’espère, d’apporter un peu plus de clarté dans la discussion.

Olivier
Olivier
8 mois

Chère Madame,

Merci pour votre contribution, votre analyse est fort intéressante et reflète bien l’état d’esprit qui peut caractériser bien des personnes et des chercheurs dans leur approche de la connaissance.

permettez-moi toutefois de déplorer qu’une telle conception du Christianisme ait pu se développer, nous le devons à la religiosité, cela débute quand l’homme rajoute à la parole de Dieu.
Cela a commencé au jardin d’Eden quand Eve ajoute à l’interdiction de manger du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, celle de ne pas le toucher. L’adversaire, c’est la signification du nom “Satan”, va lui faire contempler puis toucher le fruit, et comme elle réalisera qu’il ne se passe rien en le touchant, elle va le manger. La religiosité pervertit le commandement et amène à le transgresser. Elle créé de fausses conceptions et brouille l’image de Dieu et de sa volonté, dont il est dit qu’elle est bonne, agréable et parfaite pour nous, si nous acceptons de nous y soumettre, ce qui n’est certes pas le cas et encore moins actuellement. Les Ecritures exhortent à la connaissance de Dieu en qui résident, disent-elles tous les trésors de la connaissance et de la sagesse.
Le premier péché, n’est pas l’acte sexuel, puisqu’auparavant, Dieu leur donne ce commandement: “Croissez et multipliez!”
De même en ce qui concerne l’amour dans le mariage chrétien, lisez plutôt ceci, c’est l’Apôtre Paul qui s’exprime:
Epître aux Ephésiens 5:25:

“Maris, aimez vos femmes, comme aussi Christ a aimé l’Eglise, et s’est livré lui-même pour elle,
26 afin qu’il la sanctifiât, l’ayant purifiée par l’ablution d’eau, par la Parole;
27 afin qu’il la fît paraître devant lui, Eglise glorieuse, n’ayant ni tache, ni ride, ni rien de semblable; mais afin qu’elle soit sainte et irrépréhensible.
28 C’est ainsi que les maris aussi doivent aimer leurs femmes, comme leurs propres corps. Celui qui aime sa femme s’aime soi-même.
33 Au reste, quant à vous aussi, qu’un chacun en particulier aime sa femme comme lui-même,

Concernant la sexualité dans le couple, le Christianisme, ne la présente pas comme ne devant servir qu’à la procréation:

1ère Epître aux Corinthiens Chapitre 7

“3 Que le mari rende à sa femme l’affection qu’il lui doit, et pareillement aussi, la femme à son mari.
4 La femme n’a pas son propre corps sous sa dépendance, mais c’est le mari; et pareillement aussi, le mari n’a pas son propre corps sous sa dépendance, mais c’est la femme.
5 Ne vous privez pas l’un de l’autre, si ce n’est peut-être d’un consentement mutuel, pour un temps, afin de vaquer au jeûne et à la prière; et ensuite retournez ensemble, de peur que Satan ne vous tente à cause de votre incontinence.”

Nous voyons bien ici que la relation conjugale n’est pas limitée à l’unique objectif de la procréation dans le Christianisme originaire, mais la religion est passée par là avec son désir d’accomplir des oeuvres pour plaire à Dieu et rentrer dans l’économie de la performance qui est l’antithèse de la Grâce.