On a des critères de choix trop sophistiqués
Ne pas se marier avec le premier venu, avoir des exigences est le signe que l’on sait ce qu’on veut et ce que l’on vaut. Mais l’excès ou la surenchère des exigences, la remise en cause permanente de ses acquis, la recherche du « toujours plus » est le signe du contraire.
Cette surenchère des exigences aboutit à une situation absurde dont tout le monde se plaint et dont nous sommes tous la cause. En effet, les hommes et les femmes célibataires se cherchent sans se trouver car ils courent après un mirage : une personne qui satisfera parfaitement leur quête illimitée d’indépendance et d’épanouissement personnel.
Certaines personnes interviewées, dans un moment de lucidité, se rendent compte qu’il y a peut-être des attentes exagérées vis-à-vis de ce que l’autre doit être :
Djamila, avec du recul, se dit :
« On est peut-être trop compliqué, trop exigeant avec l’autre ».
Cyrielle nous confie :
« Sur les 15 dernières années, j’ai reçu plein de demandes de mariage. Mais il n’y a que 6-7 hommes avec qui j’ai pris le temps de discuter pour voir s’ils me convenaient. C’est des relations qui ont duré entre quelques semaines et quelques mois. Je me dis que j’ai peut-être un problème. Quand je vois des gens barjos qui se sont mariés et ça se passe bien, je me dis que c’est peut-être moi qui suis trop compliquée. Mais je ne sais pas où est-ce que j’ai merdé ».
Les hommes se plaignent également de la surenchère d’exigences exprimées par les femmes. Par exemple, Houcine est un homme de 44 ans, français et algérien. Il travaille comme Agent aéroportuaire. Il raconte ses expériences de femmes très exigeantes dans le choix de leur mari :
« J’ai déjà vu des femmes qui disent : ‘’Si mon homme ne maîtrise pas le Coran, c’est pas la peine’’, etc. On entend tout, c’est aberrant !
Les exigences des femmes sont très hautes sur le plan physique. Ok, c’est important de se plaire mais faut pas trop en faire non plus. Il y a des filles qui ne sont pas canons mais qui cherchent un homme canon. Et je pense que c’est pour ça qu’elles ne sont pas mariées.
On dit que les hommes cherchent des femmes canons. C’est vrai, c’est abusé. Mais du côté des femmes, elles demandent des personnages complètement farfelus ! Elles veulent des bonhommes, des prophètes, des linguistes qui parlent arabe comme Molière parlait français, ou un shakespearien, un homme athlétique : ‘’Ah non il a un peu de rondeur, ça va pas passer !’’…
Je pense à deux femmes que je connais bien : l’une avocate et l’autre dans la finance. Elles veulent un homme avec un revenu précis, une allure athlétique… Elles sont super exigeantes ! Moi je leur dis : ‘’Vous allez enterrer l’homme avant même de l’avoir épousé !’’ ».
Houcine gagne bien sa vie. Il raconte comment il a été rejeté simplement parce qu’il a annoncé qu’il comptait devenir professeur :
« Une fois, on a voulu me présenter une femme. Sa sœur a contacté la mienne. Ma sœur a dû me valoriser auprès de l’autre en mode : ‘’Mon frère, il est ingénieur, intelligent, c’est un beau garçon, pratiquant, etc.’’. J’ai appelé la grande sœur de la fille qu’on voulait me présenter. Elle m’a posé des questions par téléphone : ‘’Et qu’est-ce que tu fais dans la vie ?’’. Je réponds que je suis ingénieur en télécommunication dans une boîte mais que je pense me reconvertir dans le métier de prof. Quand j’ai dit prof, le cours de la discussion a totalement changé. Elle a cherché à me dissuader à devenir prof. Je sentais que j’avais perdu toute valeur à ses yeux. La discussion n’a pas duré plus longtemps. Elle n’a plus jamais cherché à me présenter sa sœur.
Ce jour-là, j’ai senti combien on pouvait être sensible au statut socio-professionnel. Et moi je ne voulais pas d’une femme qui accepte de m’épouser pour mon statut. Car qu’est-ce qui va se passer demain, si je n’ai plus le même statut, si je fais un métier moins prestigieux ? »
Tout se passe comme si on formait de plus en plus d’hommes et de femmes incapables de se convenir et donc de se marier entre eux.
Houria nous confie qu’elle a expérimenté très précisément ce sentiment d’incompatibilité des hommes et des femmes d’aujourd’hui :
« Les hommes que j’ai rencontrés n’étaient pas du tout dans le partage : ‘’Moi je veux que ma femme soit comme-ci, comme ça…’’. Chacun vit avec ses représentations. Je ne sais pas si des deux côtés – hommes et femmes –, on est prêt à faire des concessions pour se marier et vivre en couple ».
Lila observe ses amies autour d’elles affectées par le même excès, en vouloir toujours plus, n’accepter aucun renoncement :
« Il y a des sœurs qui ont fait des centaines de rencontres. Mais elles sont dans l’éternel ‘’Je vais avoir mieux’’. Or, le mieux est l’ennemi du bien, on devient acteur et victime de ça. Il est beau mais pas assez de ceci, gentil mais pas assez de cela, on est devenue trop compliquée ».
L’association Entraide Nanterre anime des activités pour faciliter le mariage des musulmans en Ile-de-France. A la question Si on doit insister auprès des hommes, sur quels messages doit-on insister pour faciliter leur mariage ? elle répond :
« Ne pas perdre son temps. Plus tu tardes, plus t’es vieux, plus c’est pénible. Si un homme a 40 ans, il aura 60 ans quand son enfant aura 20 ans. Il aura du mal à patienter, à l’éduquer…
A force d’être exigeant, on passe à côté de personnes bien. Tu viens te marier ou bien pour regarder ?
Il y a des personnes qui vont dans toutes les associations qui facilitent les rencontres. Du coup, tous les weekends, ils ont une sortie. Et ils deviennent plus exigeants à force de voir et de rencontrer ».
Pour dépasser cette multiplicité des exigences, on a besoin de distinguer l’essentiel que l’on doit absolument exiger du secondaire que l’on peut concéder.
Samia a 39 ans. Française, elle est d’origine algérienne. Elle est diplômée d’un BAC+6 en Pharmacie. Actuellement, elle cherche du travail. Elle est très lucide sur la sophistication des exigences, sur le piège du retardement du mariage, de l’oubli et de cette introspection sans fin :
À la question Tu as des amis célibataires. Quel est LE conseil que tu leur offrirais ? elle répond :
« De se marier le plus tôt avant d’avoir des exigences trop élevées qui bloqueraient tout désir de se marier. Ne jamais traîner dans le temps. Surtout pas rester des années en suspend sous prétexte d’être étudiant ou qu’on a le temps de bien se connaitre, etc. ».
Les facilitateurs que nous avons interviewés observent la même recherche de toujours mieux qui empêche le célibataire d’aller franchement vers le mariage.
Par exemple, lorsqu’on interroge l’association Entraide Nanterre sur ce qui, d’après son expérience, bloque le plus les célibataires, elle répond :
« La recherche de toujours mieux ou la peur de s’engager. Les célibataires viennent officiellement pour se marier. Par exemple, ils ont 30 ans, ils passent du temps ici. Mais j’ai l’impression qu’ils ne sont pas prêts à se marier. Ça se voit car lors des muqâbalah, ils chipotent. Je pense qu’ils ont des excuses pour ne pas dire les vraies raisons des refus de se marier. Ils se comportent comme des touristes. J’ai l’impression qu’ils se cachent : ils disent vouloir se marier mais dans les faits, ils n’arrêtent pas de refuser les propositions qu’on leur fait ».
Lorsqu’on interroge Zawajme.com sur cette même question, elle répond :
« Il y en a qui attendent de trouver toujours mieux. Mais à force de laisser passer des personnes qui leur conviennent pourtant, ils finissent tout seuls.
Chacun tire de son côté : les hommes et les femmes sont exigeants…
Les hommes multiplient les muqâbalah.
Notre rôle, c’est de les interpeller et de les faire réfléchir : ‘’Frère c’est ta 12e muqâbalah, tu dois réfléchir sur ce qui bloque’’.
Ils ne savent pas ce qu’ils veulent. Par exemple, un frère veut une femme qui ne travaille pas mais il ne choisit de rencontrer que des femmes BAC + 5 qui travaillent. Il faut savoir ! »