Le féminisme dominant : un frein au mariage ?

Agir pour plus de justice au service des femmes, dans la famille, les études, au travail, la rue, les lieux de culte… : c’est un combat commun que les hommes doivent mener en solidarité avec les femmes.

Mais il existe des visions féministes divergentes dans la façon de définir le contenu de la justice et la façon d’agir pour la réaliser.

Parmi elles, un discours s’exprime et domine plus que les autres : le féminisme comme forme d’individualisme.

En fait, notre façon de penser et de vivre le féminisme, de même que la religion ou que l’engagement social, est largement influencée par « l’esprit du temps ». En effet, durant la première modernité, le discours féministe a été instrumentalisé pour justifier l’ordre industriel capitaliste. Depuis la seconde modernité, il est instrumentalisé pour renforcer l’ordre individualiste capitaliste. Dans les deux cas, comme l’analyse Edgar Morin, la femme est utilisée comme « agent secret de la modernité »[1].

Dans la seconde modernité, le féminisme individualiste et libéral[2] est le discours dominant. Il raisonne selon le principe moderne de relativisme moral : ce qui a de la valeur, c’est de défendre le choix de vie d’une femme, peu importe la qualité morale de ce choix. On a là tout le déplacement philosophique et moral du discours féministe moderne : le bien, c’est ce que choisit une femme, peu importe ce qu’elle choisit. Etonnamment, tout choix que fait librement une femme est supposé juste et « féministe ».

Alors que le nationalisme confond le Bien avec les intérêts/besoins/désirs d’une nation, le machisme le confond avec ceux d’un homme, et le féminisme le confond avec ceux d’une femme… Ce sont trois formes d’égocentrisme qui considèrent que la Nation, l’Homme (au sens masculin) ou la Femme, est le centre du monde, est la source la plus solide pour définir la Vérité, le Bien et la Justice.

Le féminisme dominant porte la parole de toutes les femmes – sans les concerter et en s’imposant à la majorité d’entre elles – et pousse à se méfier du mariage car, selon lui, il serait source de malheur et d’inégalités pour « la femme ». C’est pourquoi, il n’existe pas de littérature féministe valorisant la beauté du mariage. En revanche, on trouvera une longue littérature jetant la suspicion sur le mariage et la vie de famille, poussant les femmes à se penser comme « indépendantes », n’ayant pas besoin du mariage avec un homme pour cultiver leur épanouissement.

Le discours féministe dominant est focalisé sur la démonstration ostentatoire qu’une femme peut « réussir » sans passer par « la case » mariage ou « procréation ». Il cherche à remplacer la valeur positive du mariage et de la vie de famille par leur rejet comme source de frustration pour la femme, de charge mentale et de sacrifice de son épanouissement personnel. Il cherche à détourner la femme du mariage en l’occupant par son développement personnel.

« Dépendante » affectivement, elle doit désormais être indépendante. Pas très sûre d’elle-même, elle doit apprendre à s’estimer, à avoir confiance en elle. Empathique et sensible aux besoins des autres, elle doit d’abord penser à elle-même. Attachée à son homme, elle doit apprendre à s’en détacher et à s’aimer d’abord. Prisonnière du mariage qui est une forme de domination des hommes sur les femmes, elle doit explorer des façons plus libres de jouir de sa vie et de son corps.

Au 20e siècle, la valorisation de l’individualisme et donc de l’indépendance et de l’épanouissement personnel chez l’homme n’a fait que s’élargir à la femme. Devenue Femme malgré elle (Selon Simone de Beauvoir, « On ne naît pas femme, on le devient »), elle doit devenir Homme (en se développant personnellement) pour être vraiment Femme.

En effet, la survalorisation de l’indépendance et de l’épanouissement individuel conduit la femme à se réaliser soi-même d’abord, à exprimer et à cultiver ses besoins, ses émotions et ses projets…, bref, à « Moi d’abord ». Cet état moral fragilise fortement l’envie et la capacité à se marier ainsi que la durabilité du mariage.

Comme on peut le voir, le discours féministe dominant et le développement personnel convergent totalement. Aucun conflit de vision et de valeur ne les divise. Tous deux remplacent le besoin de l’homme et de la femme d’être complétés l’un par l’autre, par l’idée que chacun doit cultiver son épanouissement de façon indépendante. Tous deux poussent vers le même individualisme moral et vers le Bonheur individuel comme nouvelle religion. En réalité, le discours du développement personnel et du féminisme dominant sont identiques en ce qu’ils font partie d’un même courant historique individualiste qui a tendance à retarder le mariage et à en détourner.

D’ailleurs, ce courant individualiste et féministe tombe dans deux grandes contradictions ou deux effets pervers.

Le premier, c’est qu’à force de dévaloriser la vie de famille et les activités du foyer – cuisiner, éduquer, prendre soin des autres…–, il est devenu la principale justification du nouvel ordre industriel mondial où les femmes du Sud sont « importées » dans les pays du Nord pour vendre de l’amour, de l’attention, du soin, du ménage et du sexe[3].

Le second, c’est qu’en voulant libérer la femme du mariage et de l’interdépendance avec l’homme, il a largement contribué à augmenter la souffrance des femmes : la souffrance de la femme célibataire qui rate le train du mariage, la possibilité d’avoir un enfant, la possibilité de vivre en compagnie d’un homme lorsqu’elle perd ses atouts esthétiques ; et la souffrance de la mère célibataire qui doit tout assumer seule. En effet, selon une étude de l’INSEE, en 2011, en France métropolitaine, 1,5 million de familles sont composées d’un parent sans conjoint et résidant avec au moins un enfant mineur. Dans 85% des cas, le parent est une femme[4]. Et la femme célibataire est beaucoup plus exposée à la pauvreté que les autres[5].

Enfin, paradoxalement, le mariage tardif et l’évitement du mariage ne fait qu’installer la femme dans la précarité et arranger l’homme moderne qui peut ainsi multiplier les plaisirs sans s’engager et sans exercer sa responsabilité.


*Cet article est un extrait du livre Etude sur le célibat musulman, de Mohamed Oudihat.

[1] Pour aller plus loin dans l’analyse de la femme comme instrument de justification du processus de modernisation (développement de l’industrie de la consommation et du divertissement…), Cf. Morin, Edgar (1967), La métamorphose de Plozévet. Editions Fayard.

[2] Pour aller plus loin dans l’analyse du féminisme comme forme d’individualisme libéral, Cf. Vidal, Aude (2019), La conjuration des egos. Féminismes et individualisme. Editions Syllepse.

[3] Pour aller plus loin dans l’analyse du système économique injuste sur lequel repose le discours féministe dominant, Cf. Hochschild, Arlie Russell (2004), Global Woman: Nannies, Maids, and Sex Workers in the New Economy. Holt McDougal Edition.

[4] Source : INSEE (2011), Enquête Famille et logements.

[5] Source : INSEE (2019), Enquête Pauvreté en conditions de vie de 2004 à 2017. Enquête SRCV.

Tu as aimé l'article ? Parles-en autour de toi !
S’abonner
Notifier de
guest
0 Commentaires
Inline Feedbacks
View all comments