De l’Art d’être Romantique: Petite initiation par l’islam

L’islam n’est pas une « religion », pas au sens moderne de lien qui relie exclusivement l’homme à Dieu. L’islam est une sagesse universelle qui, sur les grands sujets de la vie humaine quotidienne, a quelque chose d’essentiel à dire. En ce sens, la vocation de l’islam est de rendre l’homme et la femme meilleurs. C’est ce qu’affirme le dernier prophète de l’islam (Muhammad) :

« J’ai été envoyé pour parfaire les caractères et les ennoblir »[1].

Rendre l’homme et la femme meilleurs à travers sa vie intérieure secrète (ses intentions, ses idées, ses projets, ses désirs…) et sa vie extérieure (ses paroles et ses actes) individuelle et collective, privée et publique.

Reconnaître que Dieu est Unique, c’est accepter de vivre dans l’unité de sa personne, c’est accepter de faire l’effort de vivre en mettant en cohérence ses intentions, ses paroles et ses actes, dans toutes les petites choses de la vie quotidienne. Autrement dit, l’islam comme sagesse universelle, se joue aussi dans l’art d’être romantique au sein de son couple.

Ainsi, l’islam est une sagesse qui a vocation à civiliser l’homme, c’est-à-dire, à l’image d’un sculpteur qui va tailler une matière brute pour en faire une œuvre d’art, elle a vocation à « polir » ou à « tailler » ses intentions, ses paroles et ses actes pour le rendre meilleur qu’à l’état brut initial.

Alors qu’est-ce que cette sagesse vient civiliser, « tailler » et « polir » dans le couple, pour rendre meilleurs l’homme et la femme ainsi que le couple ?

La fidélité à Dieu et à sa sagesse se joue dans la vie du couple. Meilleur devant Dieu sera celui qui s’engage à être meilleur dans son couple :

« Les croyants qui ont la foi la plus parfaite sont ceux qui ont le meilleur caractère ; et les meilleurs d’entre ceux-là sont ceux qui sont les meilleurs envers les femmes »[2].

Être meilleur envers sa femme, est-ce être plus « romantique » ? Est-ce être plus expressif et dire plus ses sentiments à l’autre ? Quelle vision de la vie et de l’amour l’islam offre-t-elle pour rendre le couple meilleur ?

Dieu a créé tout être vivant – y compris les hommes et les femmes – par deux, par couple. L’homme et la femme sont ainsi liés par une force d’attraction, par la fraternité, par l’attachement, par l’amour, par la complicité, par le besoin de se compléter l’un à travers l’autre.

L’amour est une graine (hubb, habbah) que Dieu a plantée dans le cœur de chacun, graine qui pousse l’homme et la femme à se compléter et à s’achever l’un à travers l’autre. Le romantisme est l’art de cultiver cette graine au quotidien. Le romantisme a besoin d’un champ où cultiver cette graine : le mariage est précisément le champ où cette graine de l’amour peut être cultivée pour donner des fruits bons et durables.

Le romantisme, tout comme l’islam, est une activité intérieure (un souci de l’autre, l’intention de faire plaisir, le souci de rendre la vie agréable, l’envie de prendre soin…) et extérieure (des paroles, des gestes, des actions). Si l’amour est la plus haute forme d’attention qu’une personne peut offrir à une autre, le romantisme est l’art de manifester sa plus haute attention à l’autre à travers sa présence, ses paroles et ses gestes qui accueillent et apaisent ou qui surprennent et qui donnent des ailes, qui donnent de la joie ou qui font rêver… Pour un homme aussi bien que pour une femme, « être romantique », c’est s’engager à ne pas être un Enfer l’un pour l’autre et à faire son possible pour être son petit Paradis sur terre.

Il existe différents langages ou différentes façons d’être romantique. Si l’amour est naturel et universel, il existe cependant une diversité de façons de le vivre et de l’exprimer. On peut évoquer cinq façons d’exprimer l’amour, cinq langages de l’amour qui font sentir à une femme (ou à un homme) qu’elle est aimée.[3]

Le premier langage, ce sont les mots que l’on exprime. On peut faire plein de choses par amour pour sa femme mais tant qu’on ne lui a pas dit de mots doux, elle ne sent pas l’amour qu’on lui porte. Certains hommes justifient ainsi le fait de ne pas exprimer leur amour ou de ne pas être romantique :

« L’amour, je le ressens dans mon cœur. Je n’ai pas besoin de l’exprimer ou d’en faire la démonstration ! ».

De même, sur un tout autre sujet, on entend dire : « Dieu est dans mon cœur. Je n’ai pas besoin de l’exprimer, de le manifester ou d’agir pour montrer mon amour pour Lui ».

Dans ces deux situations, on croit que ce qui anime le cœur est de l’ordre du secret qui peut rester au-dedans. C’est mal connaître l’unité de l’être humain. C’est mal connaître la vérité de la graine de l’amour – tout comme la graine de la religion, du bonheur ou de la liberté… – qui est de devenir un arbre qui donne de bons fruits pour les autres : l’amour qui habite le cœur doit s’exprimer sous la forme d’intentions, de projets, de paroles et d’actes.

D’autant plus que les paroles d’amour ont le pouvoir de faire du bien, de rassurer, d’ouvrir le cœur, d’encourager, de donner des ailes, de donner de la joie. Elles ont le pouvoir d’agir durablement sur l’autre :

« Une parole venue du cœur tient chaud pendant trois hivers ».[4]

En effet, les mots doux réchauffent et donnent de la joie, comme on le voit à travers le prophète Muhammad qui taquinait sa femme ‘Aïsha en l’appelant « la rouquine », et qui l’embellissait et la poétisait en l’appelant « Ô ‘Aïsh ! » (« Ô source de vie ! »).

A travers ces petits noms, ces petits mots et ces petits compliments qui « tiennent chaud », une femme peut se sentir aimée.

Mais tout ne se dit pas à travers des mots. Certaines cultures et une certaine conception de la pudeur amènent les hommes et les femmes à préférer l’expression de leur amour à travers des langages non-verbaux.

Le second langage, c’est le temps que l’on passe avec sa femme. Une femme se sent aimée lorsqu’elle voit son mari passer du temps avec elle, à converser, à rire, à se raconter des histoires, à écouter…

Par exemple, un jour, le prophète Muhammad entend de la musique au dehors de sa maison. Il va voir et trouve un groupe en train de chanter et de jouer de la musique. Il appelle alors sa femme ‘Aïsha et l’invite à venir assister au spectacle. Celle-ci le rejoint. Comme il veut lui faire plaisir, il reste à ses côtés jusqu’au moment où elle en a assez et retournent tous deux à la maison[5]. Une autre fois, ‘Aïsha raconte que son mari aperçoit depuis la porte de sa chambre des Abyssiniens jouer de la musique, à la mosquée. Il l’invite à le rejoindre. Il la porte sur ses épaules pour qu’elle puisse observer le spectacle[6].

Ainsi, un homme est romantique lorsqu’il cherche à faire plaisir à sa femme, à lui témoigner son amour en passant du temps avec elle. Pour certaines femmes, passer du temps à leurs côtés est une marque d’amour « plus concrète » que d’exprimer des mots d’amour.

Le troisième langage, ce sont les services que l’on rend à sa femme pour faciliter la vie. A chaque fois qu’un homme aide sa femme dans les tâches quotidiennes, qu’il la soulage d’une difficulté, alors elle se sent aimée. C’est une marque d’amour encore plus concrète.

Le quatrième langage, c’est celui du corps, des gestes, des sourires, du regard, des relations intimes.

S’habiller de façon élégante, se parfumer, offrir un sourire ou un baiser…: ce sont autant de gestes qui montrent à l’autre qu’on lui porte son attention.

A titre d’illustration ‘Aïsha raconte :

« Un jour, le Messager de Dieu (le dernier prophète) voulait m’embrasser, et je lui ai dit : ‘Je jeûne ! (Donc je m’abstiens de toute relation intime)’ Il a répondu: ‘Je jeûne moi aussi !’ Et il m’a embrassé malgré cela’[7].

Ici, le baiser est une marque d’attention et de tendresse. Même lorsqu’un couple jeûne, il peut continuer à manifester ces petites marques d’amour complice.

Le cinquième langage enfin, c’est celui des cadeaux que l’on offre : des fleurs, une sortie, quelque chose qui fait plaisir…

Là encore, le prophète Muhammad invite à s’offrir des cadeaux pour cultiver l’amour :

« Offrez-vous des cadeaux, ainsi vous vous aimerez ! »[8].

« Si l’un d’entre part en voyage, qu’il revienne avec un cadeau pour sa famille »[9].

De la même manière, cuisiner et faire du thé, c’est offrir un cadeau : c’est accueillir l’autre, lui donner de la joie et de l’amour. C’est l’art d’introduire de l’extraordinaire dans le quotidien. C’est l’art de donner toute son attention aux personnes qui nous entourent.

D’ailleurs, il faut beaucoup d’amour pour cuisiner tous les jours, faire et refaire, parfaire pendant 40 ans, tel plat ou telle pâtisserie. C’est pourquoi, dans la tradition japonaise, chinoise, indienne ou arabe par exemple, faire du thé, c’est un rituel, une « voie » par laquelle on crée de la joie, de l’harmonie, de l’unité sociale.

En synthèse, l’islam est une sagesse universelle qui a vocation à rendre l’homme meilleur. Le couple est un champ majeur où homme et femme s’exercent à devenir meilleurs, en cultivant l’amour, c’est-à-dire une grande attention à l’autre. Le romantisme est justement l’art d’exprimer son amour pour l’autre à travers cinq langages : la parole, le temps passé ensemble, les services rendus, les cadeaux et enfin le langage corporel.

Quel langage doit-on privilégier ? L’amour doit-il se dire de façon douce ou dure ?

Chaque culture et chaque personne a sa propre sensibilité en la matière. Beaucoup de malentendus et de frustrations entre hommes et femmes et entre générations, sont liés à ces différences de langage. Beaucoup de tensions surviennent dans le couple parce qu’on ne sait pas bien utiliser ou décoder les langages de l’amour.

Par exemple, un homme croit manifester son amour par les services rendus là où sa femme attend des mots d’amour :

« Tu ne me dis jamais que tu m’aimes ! », dit-elle.

« Mais à ton avis, pourquoi je suis avec toi depuis toutes ces années ? Pourquoi je travaille autant pour qu’on vive bien ? C’est parce que je t’aime ! ».

Il existe aussi une certaine conception de la pudeur qui pousse beaucoup d’hommes et de femmes à ne pas exprimer leurs sentiments dans un langage verbal. Une dame confie en ce sens :

« L’homme est un puits de tendresse mais souvent, il ne le sait pas et c’est la femme qui le lui fait découvrir »[10].

Chaque femme préfère tel ou tel langage à un autre. Chaque homme également a l’habitude d’un langage plutôt que d’un autre. Homme et femme doivent tous deux faire l’effort de saisir le meilleur langage par lequel ils peuvent se dire leur amour.

En conclusion, quel que soit le langage, se sentir aimé, c’est savoir qu’il y a quelqu’un qui veille sur soi dans cette vie, savoir qu’« il est une veilleuse allumée pour toi dans le monde »[11].

Finalement, si l’islam a vocation à rendre chacun meilleur à travers une initiation à l’art d’« être romantique », c’est en ce ce sens qu’elle forme l’homme et la femme à être « une veilleuse » l’un pour l’autre, c’est-à-dire à veiller sur l’autre pour faire de cette vie un petit Paradis.

Notes :

[1] Hadîth Rapporté par Malik dans Muwatta

[2] Hadîth Sunan al-Tirmidhī, Sunan Abu Daûd

[3] Cf. Chapman, Gary (2008), Les 5 langages de l’amour, Leduc Editions

[4] Proverbe chinois

[5] Silsilah 7/818

[6] Ghayat al-Maram 385

[7] Silsilah 4139

[8] Hadîth rapporté par al-Bukhârî dans al-Adab al-Mufrad n°594

[9] Ibn Hibban 1/316

[10] Témoignage de Valérie

[11] Saint-Exupéry, Antoine (1936), Citadelle. Le Caïd – Seigneur berbère. Editions Wikilivres, p130

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Johanna
Johanna
6 années

Si juste. Merci !

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[…] « J’ai été envoyé pour parfaire les caractères et les ennoblir »[1]. […]

Sofia
Sofia
2 années

Très beau texte ! Je comprends que vos références aux hommes avec leurs épouses soient réciproques… mais ça ne fait pas de mal de les inverser parfois, histoire que les femmes puissent se retrouver facilement dans le texte aussi 😉